THE INSPECTOR CLUZO
Brothers in Ideals - We the People of the Soil Unplugged
On avait connu Laurent Lacrouts et Mathieu Jourdain, les corps et âmes de The Inspector Cluzo sorciers d’un blues pareillement déchiqueté, qui ordonnait l’orage sur leur Far West à eux : le Sud Ouest, les Landes, la Chalosse, la ferme Lou Casse où, quand les hommes partent sur les routes, attendent patiemment bouc, canards, oies et jars féroces. Car pour les deux hommes, l’appel du large est trop fort : pour leur musique aussi, qui a besoin d’aller se frotter aux origines, aux racines.
Il y a deux ans, le duo enregistrait à Nashville son album We The People Of The Soil. Il avait fait froid pendant la composition, dans le grenier de la ferme : il fallait réchauffer ces chansons, faire cavaler leur sang. C’est, à Nashville, le producteur Vance Powell, belle barbe au chevet des White Stripes ou Chris Stapleton qui se chargea de l’incendie, des courts-circuits sur un album qui bluffa les américains à leur propre jeu. Car ces “gens de la terre“, de la Terre aussi, peuvent parler la même langue, des africains Tinariwen aux gascons The Inspector Cluzo. Et cette langue, universelle, c’est le blues, acoustique ou amplifié – et il faut le ressentir.
C’est donc sans clichés, sans chiqué, sans folklore que Laurent et Mathieu sont allés dialoguer avec le blues, dans des terres du Kansas, du Missouri ou du Tennessee où l’on a rarement vu de français. Et encore moins de bluesmen landais coiffés d’un béret gascon. Il fallait cette immersion, à deux dans une voiture pour un road trip fantasmé depuis Sur La Route de Kerouac, à jouer inlassablement, pendant des mois dans des villes qui n’existaient jusque-là que dans des chansons ou des films pour finalement entendre cette phrase magique, postillonnée par un fan après un concert : “Nous avons inventé cette musique, c’est notre musique. Et vous en êtes de fantastiques ambassadeurs. Les mecs, vous jouez comme des putains d’enculés de leur race, ça ouais…” On peut tout arrêter après telle épitaphe. Ou tout recommencer, remettre le titre en jeu.
Ça tombe bien : à Nashville, Vance Powell et son studio ont cinq jours de libre pour accueillir et saisir une dizaine de chansons du duo dans leur plus simple appareil. C’est risqué de se priver d’électricité quand on a à ce point appris sur scène à l’apprivoiser, à la violenter. Le résultat de ces sessions le rappelle : le blues peut supporter tous les étirements, toutes les contorsions quand il est joué avec simplicité, honnêteté, humilité. Le blues n’est pas un style, pas un folklore, pas une surenchère : c’est une pulsation, un truc tellement charnel qu’il devrait être interdit aux enfants. Et souvent, moins c’est plus. A peine reconnaissables dans leur dénuement jamais austère, ces chansons ont ainsi beau être éclairées à la bougie, sous leur fausse quiétude résonne toujours un réacteur nucléaire. Que ceux qui s’interrogent sur la modernité, la pertinence de ce blues désossé en 2019 peuvent écouter des versions sans électricité mais sous haute tension de Globalization Blues ou A Man Outstanding On His Field. On y entend : “Vous pouvez sortir le fermier de ses terres. Mais jamais vous ne sortirez ses terres du fermier. Impossible.”
La terre, c’est comme le blues : ça s’accroche aux bottes, pour toujours.