C’est une ligne qui court de Homère à Bruce Springsteen, comme une route sans début ni fin, et dont la morale pourrait être la suivante : au fond, il n’y a que deux histoires qui vaillent d’être racontées –celle de l’homme qui part de chez lui, et celle de l’homme qui rentre chez lui. Dans son nouveau disque, Renaud Brustlein, l’homme derrière H-Burns, s’est montré généreux : il a mis les deux.
Disque de bilan après l’aventure du tout électrique (Off the Map, enregistré chez Steve Albini en 2013) et les expériences californiennes tapissées de claviers doucereux (Night Moves et Kid, we own the summer en 2015 et 2017, avec Rob Schnapf aux manettes), Mid Life revient à la quintessence du style H-Burns : un songwriting de qualité internationale et une justesse d’interprétation qu’aucun auditeur, à notre connaissance, n’a jamais prise à défaut. Signe qui ne trompe pas, l’idée du disque est d’ailleurs née au cours d’un séjour chez Stuart Staples, l’homme des Tindersticks. Une maison-studio installée à la Souterraine, dans la Creuse, où Renaud Brustlein a pu mûrir son projet, ses chansons, ses paroles, ses arrangements, avant de s’entourer avec le soin qui le caractérise : Earl Harvin de Tindersticks à la batterie, Kate Stables de This Is The Kit pour chanter à ses côtés, Noah Georgeson au mix (Andy Shauf etc). Le tout pour obtenir le disque qu’il avait en tête : celui qui fait le point sur une vie. Qu’il a logiquement intitulé Mid Life.
Mid Life, ou la vie qui passe, donc. Ce disque, enregistré sur bandes, à l’ancienne, c’est l’histoire d’un homme qui se retourne et qui mesure le chemin parcouru –ce qu’il a laissé en chemin des autres, et de lui même. Les amours enfuies, les rêves de gloire, les amis perdus, morts ou simplement évanouis dans la nature. Et la ville. Celle qu’il a quittée et celle qu’il a retrouvée. Romans-sur-Isère, pour la citer. 50 000 habitants et une réputation de capitale économique de la chaussure devenue, comme tant d’autres choses disparues, un passé doré qu’on regrette. “J’ai toujours été sensible au destin des villes ouvrières, confirme le musicien. C’est un thème universel qu’on retrouve dans tous les pays et dans tous les arts. On y nait, on s’y sent à l’étroit, on s’y ennuie à mourir, on en part, et on s’aperçoit qu’elles sont toujours en nous. Alors on en fait des films, des livres, des chansons.” When you’re growing up in a small town, comme le chantaient Lou Reed et John Cale en hommage à Andy Warhol. Cette croyance qu’il existe un ailleurs plus puissant irrigue les onze chansons de Mid Life : c’est cette serveuse qui part tenter la vie d’actrice à la grande ville, ces relations qui penchent toujours du côté de la passion et du danger, et pour finir les désillusions, les pilules, la dépression.
Un disque sombre, alors ? Au contraire. Après tout, Tigress est peut-être le morceau le plus charnel, pour ne pas dire sensuel, jamais enregistré par H-Burns. A égalité avec le groove folk blanc de Mid Life. Après tout, Dreamchaser fait penser à un Neil Young qui aurait enfin, au bout d’une vie de drames, trouvé la paix. Après tout, Crazy Ones rappelle le Beck dansant, joueur et malin de Odelay. Après tout, Blackdog ou Tourists provoquent l’effet qu’ont toujours provoqué les meilleures chansons de Renaud Brustlein sur l’auditeur : l’envie subite de trouver un véhicule, de mettre le contact et de rouler sans savoir où. Pour mieux revenir un jour, donc.