« Pouchkine » est tout sauf une collection de faces B. Alix, Jacques et Mattia ont affiné en quelques mois un album concis, cinq titres parmi les plus réussis de leur discographie. Grâce à une maîtrise fraîchement éprouvée aux studios Juno/Konk, le son d’Odezenne n’a jamais été aussi limpide, compact et riche à la fois. L’art de faire cohabiter armada électronique et mélodies naïves. Odezenne compose, écrit, réalise, et participe au mix de ses disques, avec Bertrand Fresel à la console, fidèle depuis l’aventure berlinoise de « Dolziger Str. 2 ». Un travail sonore qui s’attache à confier le premier rôle à des textes symbiotiques, d’une grande beauté.
Dans Bleu Fuchsia , Jacques croque - les pommes de - son passé de travailleur du marché de Rungis. On pense aux mains d’or de Lavilliers. Matin est une ode à l’amitié, cet amour sans envie d’en découdre. Salope d’amour , c’est pas ce que tu crois. On y prône la tendresse pour les destins fêlés. Dans Pouchkine , point d’orgue du disque, deux couplets se battent en duel. Amour blessé contre amour blessant. Delta , où le fleuve de nos vies finit de s’écouler, évoque l’inévitable perte de nos proches, et l’urgence de vivre qu’elle nous intime.
L’ensemble de l’EP semble nourri en filigrane de la vie de Pouchkine, poète russe aux moeurs sinueuses bien qu’au style rectiligne, qui périt par les armes pour laver son honneur d’époux bafoué. Tout chez Odezenne est dualité et contrepoint. Un peu comme être invité à boire le thé chez Bukowski. Un art de la rupture jusque dans l’identité visuelle de ce nouvel album pensée par l’artiste Edouard Nardon, néoclassique distordue, sous tension chromatique. Iconoclaste.
Au fil de ce récit exobiographique, Odezenne tend à l’universel par le chemin sûr de la sincérité. Ne pas chercher à se montrer sous son meilleur jour, en attendant des jours meilleurs. Le droit d’aller de travers. La bienveillance en étendard, pour la belle, comme pour le clochard. Quelle joie d’écouter un disque qui donne tant à entendre, sans jamais trop en dire. Pouchkine ajoute quelques éclats de miroir à nos nuits d’oubli. Miroirs dans lesquels on observe si finement, la vue trouble, mais le coeur net.
Zénith de Paris-Octobre 2020