UTO
Touch The lock
Nouvel album “Touch the lock” de UTO sortie le 26 Aout 2022 chez InFiné / Pain surprises !
Neysa May Barnett et Emile Larroche forment UTO et sont de retour. Ils ont quitté Paris avant l’apocalypse de 2020 pour aller vivre dans un bois du Loiret bordé par les champs fertiles de la Beauce qui nourrissent la région parisienne. Leur cabane-studio se situe près d’un château qui a d’abord hébergé les plaisirs érotiques de Pierre-Antoine Berryer avant de se transformer en labo d’amphétamines pendant la seconde guerre mondiale. C’est là qu’ils composent leur premier album « Touch The Lock » à paraitre à la fin de l’été 2022. Un drôle de bled pour un drôle de duo dont la musique est difficile à cerner. Etrange et mâture, expérimentale aux rythmiques grandement efficaces, leur musique est au carrefour du mainstream et du chelou.
« Touch The Lock » n’est pas un disque qui raconte des histoires ni qui répond à une narration globale. Il exprime la pesanteur (Heavy Metal / Délaisse) et la suspension, la déconnexion (Lock Myself / Behind Windows) et l’errance qui en découle (Row Paddle / Steps In The Dark / This New Phase / Souvent Parfois). Les textes ressemblent à des pensées en circonvolutions qui resteront in-abouties, parce qu’elles racontent des situations sans solution. En cela il y a un rapport au secret, à quelque chose de plié plutôt que de déplié. Discrets sur les réseaux, le couple UTO est attiré par la thématique de la porte, du verrou, de la clef, de l’espace impossible, fil d’Ariane de l’album. « Touch The Lock » déverrouille une boite où les émotions et les pensées difficiles à formuler restent souvent dormantes et inexploitées.
Emile et Neysa se sont rencontrés pour la première fois en 2013 dans un bunker militaire, au profond de la terre. Elle tombe amoureuse de lui tout de suite, mais passe trois années à le fuir. Elle étudie alors la littérature française à Paris 7 et enregistre des poèmes sur Soundcloud alors qu’Émile se consacre à son premier groupe Saint-Michel. Ils commencent à faire de la musique ensemble une nuit de certitude vers la fin de l'année 2016. Plusieurs titres sont sortis depuis dont 'That Itch’ et ‘The Beast’, largement plébiscité par la blogosphère. Avec ce premier album, ils ont pris leur temps, celui du lockdown, réécrivant et retravaillant leurs compositions comme un casse-tête chinois. Le thème du labyrinthe revient tant dans les textes que dans les structures : « Les structures de nos chansons sont un peu étranges », dit Neysa. « Elles sont comme le programme d'une machine à laver ; la musique démarre, s'arrête, s'accélère ou ralentit, mais il y a aussi des pauses. Nous ne savons pas ce que va donner une chanson avant que le programme ne s’arrête ». Il y a quelque chose de dense, de compact, de foisonnant et d’extrêmement contrasté dans ce premier disque. Aux passages percussifs succèdent des polyphonies cristallines qui forment ensemble le secret de leur son.
« Nous avons dû ouvrir de nombreuses portes en nous-mêmes pour faire ce disque » dit Émile. « Nous ne sommes jamais restés fidèles à une méthode ou à un style. Nous avons dû continuer à déverrouiller des parties de nous-mêmes pour l’élaborer. C'est devenu une sorte de liberté de ne jamais se limiter à choisir une seule direction. Neysa a fait des morceaux toute seule pour la première fois, par exemple. Elle a senti qu'elle était prête à ouvrir cette serrure ». Sur la pochette on voit un homme avec une massue en train de défoncer quelque chose d’indiscernable. Le duo parle de ce « lieu » qu'ils ont découvert comme d'une pièce interdite où se cachent les fantômes et les morts, le "verrou" lui-même étant une référence à la "room of doors" d'Alice au pays des merveilles et à la pièce interdite de Barbe bleue.
Le processus de réalisation du disque a commencé sur la péniche d’Ariane Mnouchkine à Oxford à l'été 2019 où ils se sont installés avec seulement une guitare, un clavier, un ordinateur et leurs voix. Ils écoutent le morceau ‘Sketch Artist’ de Kim Gordon, ainsi que Tirzah et Adrianne Lenker, et se mettent au travail. Ils quittent le bateau trois semaines après avec 3 morceaux de l’album qui seront les trois directions empruntées dans le disque : douceur ‘Behind Windows’, efficacité ‘Délaisse’ et sortilège noir ‘Steps In the Dark’. Ce sera un disque bilingue, pour la première fois. Et c’est étrange comme l’écriture de ‘Souvent Parfois’ ressemble à celle de ‘This New Phase’ : parce qu’ils ont trouvé leur leur son, UTO passe habilement d’une langue à l’autre sans perdre en cohérence ou en étrangeté.
Dans le bois où les UTO ont développé l’album, il y a deux studios, celui de Neysa, et à l’autre extrémité celui d’Emile rempli de machines et de modulaires. « Je suis atteint d'une maladie très grave appelée le syndrome d'acquisition du matériel (GAS Gear Acquisition Syndrome) » plaisante Émile. « Je ne peux pas m'empêcher d'acheter de nouveaux trucs, et à chaque fois que j'achète quelque chose de nouveau, je fais un morceau, et ensuite je ne veux plus l'utiliser ». Cette pléthore de sons ajoute à l’inventivité et à la richesse de l’album, les UTO ont bien trouvé leur son mais celui-ci ne dépend pas d’un instrument totem ou d’une langue. On entend cependant quelques instruments récidivistes : le Jupiter 6 d’Emile et le mellotron de Neysa passent un pacte et se faufilent discrètement dans chacune de leurs compositions, formant un socle solide à la profusion instrumentale.
Musique à deux têtes et à deux mains, il y a aussi deux faces sur « Touch The Lock ». Si la première partie de l'album est plutôt pop-rentre-dedans (Délaisse, Souvent Parfois, Row Paddle, Heavy Metal) la seconde est plus ambivalente et expérimentale (Steps In The Dark, Take It All, Lock Myself, This New phase). Neysa a perdu deux proches pendant l'enregistrement de l'album, ce qui teinte la seconde partie du disque. Elle parle du purgatoire que représente la pure disparition d’un visage dans ‘This New Phase’ : « J’étais à l’hôpital souvent pour faire des visites. Je ressentais la douleur comme un coup de marteau furieux. Pas douce, ni lyrique, ni melo. Pas de tristesse, parce que faire et écouter quelque chose de triste ça nous soulage, ça nous fait du bien. C’est pourquoi je voulais aussi une voix neutre ; la neutralité me semblait plus martelante et froide. Pas de fioritures, juste une sombre danse flamenco. »
L’album s’achève par ‘Full Presence’ le morceau lumineux de la réconciliation ; réconciliation des deux parties du disque et réconciliation avec soi : « I’m glad I reassembled my pieces » chante Neysa. « Je voulais que le saxophone ait un son quasi humain et que la chanson reste très dépouillée jusqu'à la deuxième partie, où le gospel lent intervient comme un mur de voix » explique Émile. Le décollage qui s'ensuit est un dénouement heureux pour l'un des meilleurs premiers disques que vous entendrez cette année. UTO est tout simplement un ovni et leur premier album « Touch The Lock » ne fait pas que titiller la serrure de notre oreille, il la défonce.