TRUNKS
We Dust
Nouvel album We Dust de TRUNKS sortie le 13 octobre 2023 chez II Monstro !
Peut-on faire un « supergroupe » en recrutant ses membres seulement à l’échelle d’une ville, fût-elle une des capitales musicales du pays ? Peut-on privilégier ainsi un certain « circuit court » alors que justement l’aventure en question est celle d’une formation qui devait être parfaitement éphémère, mais se déploie finalement sur un temps long, plusieurs décennies ?
Difficile de parler de ces « troncs » (TRUNKS en anglais*) sans s’intéresser à leurs racines. Et à l’endroit où elles se situent, Rennes, terroir et terreau auquel chaque membre de TRUNKS se rattache, même si plusieurs viennent d’autres contrées plus ou moins lointaines. Le groupe se forme en effet sur l’impulsion du Jardin Moderne, lieu de culture bien connu de la capitale bretonne, lui-même agrégation des initiatives de plusieurs acteurs associatifs rennais, pour fêter ses 5 ans en… 2003.
* : ou encore « coffre » (de voiture par exemple), « trompe d’éléphant » ou même « slip de bain » !
Quoique nordiste, Laetitia Shériff est déjà à l’époque une figure du « rock rennais », statut aisément confirmé par une discographie largement saluée et un joli palmarès de festivals pour la chanteuse, guitariste et (ici) bassiste. Elle serait la figure de proue du groupe si celui-ci ne choisissait de mettre chaque membre sur un pied d’égalité (et sur ce nouvel album de cosigner tous les titres). On connait sans doute moins le batteur de la formation, Régïs Boulard, mais il suffit de l’avoir vu sur scène une seule fois pour comprendre le respect dont il jouit, notamment dans le milieu musical breton : de ses groupes Chien Vert et NO&RD (avec Olivier Mellano) à sa collaboration avec Philippe Poirier (ex Kat Onoma), ses 13 ans avec Sons of the Desert en passant par l’étonnante Machine Couchée, c’était déjà et reste aujourd’hui un pilier indispensable à TRUNKS, car rock mais bien au-delà de ça. Lui aussi répétait au Jardin Moderne, embarqué dans l’aventure aux côtés de Régis Gautier, guitariste de la formation noise Møller Plesset avec qui Laetitia avait fort envie de jouer, tout comme avec Stéphane Fromentin évoluant alors à la six-cordes avec Ruby Red Gun.
Un guitariste certes, mais son parcours dépasse le simple cadre des « musiques actuelle » puisqu’il a collaboré depuis la fin des années 90 avec le monde du théâtre, de la danse ou des arts plastiques, tout en prenant part aux disques et aux concerts de Chien Vert (avec Boulard) mais aussi de Yes Basketball ou de Ladylike Lily. Il signera aussi les visuels de la formation naissante.
La brève rencontre du concert au Jardin Moderne a donné envie à TRUNKS de poursuivre l’aventure : tandis que la suite sur scène est produite par La Station Service (d’autres rennais), c’est Régïs Boulard qui incitera le groupe à enregistrer. Il faudra attendre 2007 pour la sortie du premier album Use Less, disque puisant chez Kerouac, où est invité le saxophoniste Daniel Paboeuf. Trop pris par sa carrière de chercheur, Régis Gautier doit quitter le groupe peu après, Boulard propose à Paboeuf d’intégrer pleinement TRUNKS : il ne se fait pas prier et deviendra un moteur essentiel de la formation. Satellite habituel de la planète Marquis de Sade, il n’a alors pas encore monté son DPU (Daniel Paboeuf Unity) et s’il multiplie les collaborations ici (Daho, Niagara) ou plus loin (Hardy, Chamfort, Dominique A), le saxophoniste sait qu’il dispose là de complices capables d’emmener le rock au-delà de ses limites habituelles.
Mais avoir deux guitares reste essentiel pour le son du groupe. C’est Stéphane Fromentin qui va donc chercher Florian Marzano, guitariste et chanteur de We Only Said. Il sera le dernier arrivé dans TRUNKS, qui tout en poursuivant les concerts publie en 2011 l’album On the Roof, déjà sur le label de Daniel Paboeuf Il Monstro. Les derniers enregistrements du quintet se situent en 2013 sur la face A du split Rosemary K's Diaries 03 (avec les lorrains Filiamotsa en face B, chez Les Disques de Plomb).
On aurait envie d’écrire « depuis, plus rien » mais c’est oublier que TRUNKS est aussi et avant tout une histoire d’amitié entre musiciens habitués à se croiser, à s’apprécier, à se retrouver même si leurs projets respectifs les ont parfois accaparés, allongeant les années, a fortiori avec le covid. Vingt ans après sa naissance, dix après son dernier disque, réunir cette famille était naturel, comme il fut normal d’y inclure Thomas Poli, musicien, ingé son (déjà collaborateur de la plupart des membres du quintet) : il a coréalisé avec TRUNKS ce nouvel album, qu’il a aussi mixé et masterisé.
TRUNKS s’étaient retrouvés en 2016 pour des sessions restées sans suite chacun ayant un planning chargé. Mais le SMS envoyé à la bande par Laetitia pour relancer la machine en 2021 aboutit sous l’impulsion de Stéphane à repartir de zéro, faire du frais plutôt que du réchauffé : il y a des choses nouvelles à vivre et à raconter. Les retrouvailles en studio confirment vite le plaisir et la magie, dont chacun parle avec une certaine émotion. L’album s’ouvre ainsi sur un single limpide, qui finira par prendre le surnom que le groupe lui donnait en répétition, « Les belles choses », avec la dualité qu’on retrouve souvent sur cet album. « Les heures comptées à se morfondre contre celles, belles, passées avec les gens qu’on aime »…
« Edgeways » s’inscrit aussi dans une opposition, le chaos et le mal qui attire, contre l’amour et la lumière, bruitiste puis plus aérienne. Assez ouvertement premier degré mais s’interrogeant sur la frontière parfois ténue entre voies de traverse, pas de côté et simple dérive. Comme le précédent, la chanson est née de quelques mots en français livrés par Laetitia Shériff à ses complices, et revus essentiellement par le très anglophile Régïs Boulard. Le fonctionnement aura été encore un peu différent avec « Memotrunks », Florian Marzano raccourcissant le texte que Laetitia trouvait sombre, et prenant le relais au chant pour en faire quelque chose de toujours profond, mais plus lumineux (avec l’aide du Mellotron numérique Memotron pour le titre).
C’est également lui qui apporte la surprise sonique d’un « Norbor » au titre codé (Sauron à Belle-Île ?) instru qui part tranquille avant d’être envahi d’énergie noire. Au rayon instru figure aussi le plaisant « O.B.O », jeu de mot en forme là encore d’opposition entre « hobo » (« vagabond ») et quelques acronymes financiers : on sent le plaisir communicatif des retrouvailles d’une section basse-batterie où Boulard et Shériff offrent un solide terrain de jeu pour les deux guitares et le sax.
Il faudra bien tendre l’oreille pour entendre le clin d’œil SF dans la terrible litanie de batailles égrainées d’une voix blanche qui pourrait malheureusement ne jamais s’arrêter sur « Blood on Poppies », tandis que la musique ne cesse de s’intensifier. « L’humanité n’apprend rien, ce n’est qu’à titre personnel qu’on peut essayer de s’améliorer » se désole Régïs Boulard qui a trouvé le concept de ce titre (conceptuel mais jamais intello), dédié au vétéran du débarquement normand Ken Tout et son admirable parcours.
Disons d’ailleurs un mot du titre de l’album, qui aurait pu s’appeler In Dust Trees si le jeu de mot n’avait été jugé un peu trop éloigné de la proposition musicale, et n’avait donné un peu trop de place aux deuils et épreuves connus par différents membres de TRUNKS dans les années qui précédaient. Il deviendra We Dust, « nous dépoussiérons, balayons devant notre porte » titre ni plombant ni béat, « ressemblant à nos retrouvailles » disent-il, porté sur un avenir qui est d’autant moins sombre qu’on est ensemble.
L’album s’achève sur « What Is Fantasy » / « What Is Real » forcément liées. La première trouble les repères par sa polyrythmie maligne tandis que les voix samplées se permettent un hommage tout en humilité à Laurie Anderson. Encore un esprit haïku pour exprimer ce sentiment qu’on partage : « on ne sait plus sur quelle planète danser ». Puis la seconde reprend le riff mélodique tandis que la batterie tourne sur 5 temps histoire de nous perdre encore un peu plus dans l’envoutant labyrinthe de TRUNKS, où s’envolent les notes de saxophone soufflées par Laetitia Shériff à Daniel Paboeuf (et mises en boite en une prise). Qu’est-ce qui est réel ou pas, à vous de décider… Ce qui le sera dès l’automne ce sont les retrouvailles sur scène de TRUNKS : « supergoupe », en vrai !